Union européenne : et si tout restait à faire autour de l’écocide ?

Contrairement aux réactions enthousiastes qui ont fleuri ça et là, ce « crime » environnemental n’est pas consacré en droit européen. Et les contours de cette notion sont toujours aussi flous, constatent les avocates Sarah Becker et Julie 

ue d’engouement, de bruit et d’espoir autour de l’écocide ! Rarement une infraction pénale aura fait l’objet d’un tel plébiscite. Les réactions suscitées par l’accord provisoire du Parlement européen et du Conseil le 16 novembre dernier en matière de criminalité environnementale n’ont fait que confirmer, si cela était encore nécessaire, le soutien massif de l’opinion vers un durcissement des arsenaux législatifs sur le sujet. Mais à y regarder de plus près, le projet de directive ne consacre pas l’écocide en droit européen. La « victoire », l’ »évènement historique », le sont-ils vraiment ?

Certaines catastrophes pour l’environnement ont profondément marqué la société française – marées noires, Lubrizol, AZF… – dans un contexte de crise climatique et de polarisation de l’opinion face aux mouvements associatifs. Si l’on ne peut que se féliciter que l’Union se saisisse de la question environnementale, la volonté européenne d’introduire dans les législations nationales des Etats membres un cadre répressif en la matière devra être appréciée à l’aune du texte définitif qui sera publié, et de son utilité réelle au regard du droit national. Surtout, la prudence nous semble devoir tempérer l’enthousiasme qui s’est levé.

Beaucoup de bruit pour peu de choses

Eu égard au texte annoncé par les instances européennes, nous sommes en effet bien loin des portes de la Cour pénale internationale, mais également d’un cadre pénal européen permettant la poursuite effective des atteintes environnementales transnationales.La focalisation sur un « crime » d’écocide est également à déplorer. Elle semble interdire, pour des raisons plus politiques que juridiques, une réflexion sur le périmètre et l’efficacité des infractions en matière environnementale. Surtout et contrairement aux déclarations qui se multiplient ces derniers jours, le projet de directive ne consacre pas l’écocide en droit européen.

Sous réserve de sa publication officielle, le nouveau texte établit une liste mise à jour d’actes liés à l’environnement qui sont considérés comme des infractions pénales au niveau européen et introduit la notion d’infraction dite « qualifiée », qui fera l’objet de sanctions plus strictes, si elle est à l’origine « de la destruction d’un écosystème ou d’un habitat à l’intérieur d’un site protégé ou de dommages à la qualité de l’air, du sol ou de l’eau ». Le préambule du texte préciserait simplement qu’il s’agit d’infractions « comparables à l’écocide ». Sur ce point, comme sur d’autres, beaucoup de bruit pour peu de choses, en tout cas du côté français.

Une définition juridique peu claire

Pour mémoire, la notion d’écocide a bien fait son entrée dans le Code de l’environnement à la faveur de la loi Climat et Résilience du 22 août 2021. Toutefois, l’écocide a pris la forme d’un délit – et non d’un crime – dont la définition est particulièrement peu claire. L’intentionnalité avec laquelle l’écocide doit être commis en droit français ajoute notamment une condition probatoire qui risque de limiter l’efficacité des poursuites pour les atteintes environnementales les plus graves. Sauf à considérer que toute infraction environnementale est intentionnelle… et que tout relèverait alors de l’écocide, ce qui priverait de toute logique l’arsenal législatif français.

L’accord sur un projet de nouvelle directive ne viendra pas nous éclairer sur les contours – très incertains – de la notion française d’écocide, ce que nous déplorons. Infraction autonome ou circonstance aggravante d’autres délits environnementaux ? Infraction « qualifiée » – ce qui renvoie à une notion propre aux délits involontaires – ou intentionnelle, comme l’impose la notion de « crime » ?

Ceci étant dit, la France est encore une fois, comme bien souvent en matière de législation environnementale, en avance par rapport à Bruxelles. Elle ne devrait pas voir son arsenal pénal national bouleversé par la transposition de la future directive. Les exigences nationales vont même plus loin, par exemple sur la question de la prescription, où le point de départ commence au jour de la découverte du dommage et non de la réalisation de l’infraction comme entend le prévoir le droit européen.

Un impact mineur en France

Les quatre nouvelles infractions créées par la loi Climat et Résilience de 2021 – délit de pollution de l’air et/ou de l’eau ; délit de pollution par les déchets ; délit de mise en danger de l’environnement, délit d’écocide –

recoupent exactement le champ des infractions visées par le projet de directive. Ces infractions ont déjà sensiblement renforcé en France la répression des atteintes à l’environnement et contribuent à une prise en compte accrue des enjeux environnementaux par les entreprises.

Le cadre réel du projet de directive étant rappelé, il faut évidemment saluer l’harmonisation de la répression de la criminalité environnementale à l’échelle européenne. Si la France ne se trouvera en réalité que peu impactée par la transposition de cette directive, il s’agit d’un pas en avant notable pour les Etats membres dépourvu d’une règlementation pénale environnementale ou disposant d’un cadre répressif limité.

Il faut également saluer le renforcement des sanctions demandé aux Etats membres pour ces infractions. Avec des peines d’amendes pouvant s’élever jusqu’à 5 % du chiffre d’affaires mondial annuel, ou 40 millions d’euros, et des peines d’emprisonnement pouvant viser les dirigeants des sociétés impliquées, l’Europe appelle à une sévérité accrue en matière environnementale dans une logique de dissuasion… et de recouvrement pour ses détracteurs.

Ce projet politique ambitieux, premier en date à un niveau supranational, serait encore plus impactant si le même jour la Commission européenne n’avait pas renouvelé la réitération pour dix ans de l’autorisation du glyphosate dont l’impact environnemental et les conséquences délétères sur la santé humaine ont été maintes fois rappelés par les experts. De quoi peut être faire l’objet, dans un futur proche, d’une répression sur le fondement de l’écocide.

Sarah Becker estavocate associée du cabinet VingtRue Avocats, spécialisée en droit de l’environnement

Julie Fabreguettes estavocate associée du cabinet VingtRue Avocats, spécialisée en droit pénal

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